Études littéraires, vol. 46, 3 / 2017
sous la direction de François-Emmanuël Boucher, Sylvain David et Maxime Prévost
Le monde a peur. L’imaginaire social occidental se définit aujourd’hui, en grande partie, par la terreur : nos discours – et, de plus en plus, nos pratiques – sont ceux de l’État d’exception, voire de l’État de siège, c’est-à-dire ceux de la guerre perpétuelle contre un ennemi dont le moins qu’on puisse dire est qu’il est fuyant. Ce dossier d’Études littéraires se donne pour aire d’analyse les textes qui alimentent et dessinent les grands paramètres de ce monde qui serait encore plus réel que le réel (avec des complots inconnus, des espions de toutes sortes, des menaces qu’on ne saurait détruire et des moyens techniques, financiers, informatiques, etc., d’une puissance sans cesse grandissante). Il prend pour hypothèse que le roman d’espionnage institue, dès ses origines, les mécanismes d’un imaginaire de la terreur et préfigure ses glissements ultérieurs.
Les articles composant ce dossier s’intéressent aux fondations de l’imaginaire de la terreur, des proto-origines du roman d’espionnage à son âge d’or, aux effets de la terreur au quotidien à travers différents genres et littératures nationales, et aux enjeux contemporains investis par la littérature de la terreur et du complot. Ils analysent une belle sélection d’auteurs, allant de Paul Féval à Jean-Jacques Pelletier, en passant par Jules Vernes, Ian Fleming, George Orwell, Martín Kohan, Pedro Mairal, André Benchetrit, Thomas Kryzaniac et Doris Lessing. Les œuvres étudiées, loin d’alléger l’esprit de celui qui en fait l’expérience, attisent en effet ses pires craintes, voire les fonde symboliquement, donnent vie et forme à des angoisses qui, sans ces multiples narrations, n’auraient jamais acquis une puissance aussi délétère.
Si cette nouvelle livraison d’Études littéraires nous montre l’espionnage, les complots et les secrets d’État comme un puissant moteur de création littéraire, elle nous fait aussi découvrir un imaginaire de la terreur qui ne libère pas, mais opprime.